On dit qu'elles ont inspiré à Darwin sa théorie de l’évolution. Beaucoup d'espèces qui y vivent n’existent pas ailleurs et n’ont guère évolué depuis leur apparition sur ces terres volcaniques car, vu l’absence de prédateurs, elles n’ont pas eu besoin de s’adapter pour prospérer. Certaines arrivent tout droit de la préhistoire et craignent si peu les hommes qu'on peut les approcher de près. Au large de l’Équateur, les Galápagos nous plongent dans les entrailles de la Terre.

Une terre volcanique où pullulent les reptiles issus tout droit de la préhistoire (c)PhilBerki

L’endroit où je batifole s’appelle « Los Tuneles », les Tunnels en espagnol. Il tire son nom des innombrables cavités creusées dans les coulées de lave par l’océan au fil des millénaires. C’est l’un des sites les plus variés pour le snorkeling à une heure de bateau d’Isabela, la plus grande île de cet archipel volcanique qui affleure en plein Pacifique, à 1000 km des côtes équatoriennes. Un paysage de lune envahi par les eaux. Féérique.

Los Tuneles
(c)PhilBerki

Ici, la faune sous-marine flâne par quelques mètres de fond dans une eau translucide. Indifférente aux plongeurs qui débarquent au compte-gouttes, sous l’œil attentif des guides naturalistes du parc national qui intègre quasi tout l’archipel. Jamais plus de deux hors-bords en même temps. C’est peu, vu l’immensité du site. Nous sommes un groupe de huit et nous suivons Myriam, entre la mangrove et les roches magmatiques. Les animaux marins, on ne se contente pas de les apercevoir : on s’ébat, on joue avec eux. De jeunes lions de mer virevoltent autour de nous, faisant mine de nous toucher pour bifurquer au dernier instant. Tortues démesurées, hippocampes délicats, raies pastenagues ou mantas, requins, dauphins, pingouins, otaries, langoustes, innombrables poissons multicolores… Telle est la vitrine du fantastique aquarium où je passe, au total, une petite semaine. Plusieurs ne suffiraient pas à en épuiser les ressources. Et que dire du zoo à ciel ouvert, sur la terre ferme.

Batifoler avec des lions de mer... (c)PhilBerki
Premières sensations

« Vas-y, descend doucement dans la grotte. Ils sont là, tranquilles, ils ne devraient pas bouger beaucoup. Tu ne risques rien, ne t’inquiète pas. » J’attends ce moment depuis toujours et mon cœur bat la chamade. Mais j’ai confiance en Myriam, la ranger locale en combinaison de néoprène qui m’a guidé jusqu’ici. Pas question de reculer. Je plonge en apnée jusqu’à l’entrée de ce qui s’avère être un tunnel sous-marin dont les deux autres accès trouent l’obscurité. Après une fraction de seconde, j’en vois un qui nage entre deux eaux. Sa silhouette furtive se découpe dans la lumière de la trouée qui me fait face. Mon premier squale. Un splendide requin à pointes blanches, qui fait mine de ne pas me voir. Je suis tétanisé. Ils sont des dizaines, trop pour pouvoir les compter, posés sur le sable au fond de la cavité. « Ce sont des chasseurs nocturnes, ils se reposent pendant la journée », m’avait prévenu Myriam. Mais ils m’ont repéré. Certains commencent à bouger, à nager en rond. Aucune agressivité, seulement de la curiosité. Mes poumons vont exploser. Mon binôme me tire par les pieds et je remonte à la surface, en hurlant d’excitation : « Il faut que j’y retourne ! » A peine le temps de me remettre de mes émotions qu’une autre grotte m’appelle déjà.

Suivre un banc de raies pendant des heures... (c)PhilBerki

Retour aux origines

C’est un endroit unique au monde par sa géologie, son écosystème et sa biodiversité. Celui, dit-on, qui a inspiré à Darwin sa théorie sur l’évolution des espèces, après y avoir résidé un temps en 1835. « Beaucoup d’animaux qui vivent ici n’existent nulle part ailleurs. Certains n’ont guère évolué depuis leur apparition sur ces terres volcaniques émergées il y a quelques millions d’années, m’explique Carlos, mon autre guide naturaliste – terrestre, celui-là. En l’absence de prédateurs, ils n’ont pas eu besoin de s’adapter pour prospérer. Leurs cousins vivant à l’époque sur le continent ont, pour la plupart, disparu depuis longtemps. »

Tortue géante (c)PhilBerki

Ce sont les iguanes et les tortues géantes qui concentrent surtout l’attention des visiteurs. Les premiers, version marine, sont partout : dans l’eau, sur les plages, les rochers d’où ils observent les humains sans broncher, agglutinés en grappes immobiles. Fossiles vivants rescapés de la Préhistoire, ils jouent les dragons miniatures en crachant l’excès de sel accumulé dans leurs narines pendant qu’ils pêchent. Pas moins impressionnant, leur cousin terrestre est plus gros, rare et solitaire, on n’en trouve différentes variétés que sur certaines îles qu’il faut rallier avec un guide pour pouvoir les observer. Ces iguanes sont chez eux, placides, peu dérangés. Sur les ilots pelés par le soleil et le vent, où la végétation est pauvre et sèche, ils lézardent au pied des cactus géants dont la chair, moelleuse et gorgée d’eau, constitue leur ordinaire.

Un iguane marin (c)PhilBerki

Carlos m’a emmené les voir sur Santa Fe, un ilot planté à deux heures de bateau de Puerto Ayora, la cité-phare de Santa Cruz, qui est l’île la plus peuplée et la porte d’entrée des Galapagos. Pour une demi-journée de randonnée sur cette terre décharnée, hors du temps. Et une autre de plongée dans un lagon paradisiaque, dont la plage immaculée n’est peuplée que par une colonie de lions de mer si peu farouches qu’ils me laissent déambuler entre eux pour les photographier. « Attention aux gros mâles, prévient quand même mon hôte, ils peuvent être hargneux. » Aucun ne fait pourtant mine de bouger.

L’autre rescapée du Crétacé, c’est la tortue géante, dont les plus grands spécimens n’ont subsisté qu’ici et aux Seychelles. Elles sont sanctuarisées comme leur environnement : pendant des siècles, les baleiniers, pirates et boucaniers qui croisaient dans ces eaux les ont décimées. Il en reste quelques milliers en liberté mais plusieurs sous-espèces ont disparu, comme l’a illustré le récent décès de Lonesome George, dernier membre de sa famille, connu comme la plus vieille tortue mâle de la planète. Largement plus que centenaire, George vivait à la Station Charles Darwin à Santa Cruz, un centre de réhabilitation et d’élevage dédié à la survie de ces reptiles hors gabarit. La visite vaut le détour, mais qu’elle ne vous empêche pas d’aller les découvrir en pleine nature.

(c)PhilBerki

13 grandes îles, 6 petites et une myriade d'îlots rocheux composent l'archipel des Galapagos.
Excursions insulaires

Elena Abarado Ruiz (c)PhilBerki

L’archipel compte treize grandes îles, six petites et une myriade d’îlots rocheux, éparpillés sur 80.000 km2. Il constitue la partie émergée d’une chaîne de volcans sous-marins toujours en activité, dont les cônes fument et crachent encore leur lave ça et là. Certains se découvrent, comme l’Alcedo ou le Sierra Negra, au prix d’une randonnée à la journée au cœur d’Isabela. Seules cinq îles sont habitées par moins de 20.000 habitants, concentrés dans les villes portuaires et dédiés au tourisme… ou à la conservation de la nature. Il y a deux façons de les visiter. En petit bateau de croisière, qui autorise le cabotage d’île en île selon un itinéraire très balisé mais les places sont chères et limitées. J’ai choisi l’autre formule, autonome. Arrivée en avion via le port équatorien de Guayaquil à Baltra, l’île aéroport contiguë à Santa Cruz, que l’on rallie en bac, avant de rejoindre Puerto Ayora en taxi collectif. J’y ai retrouvé Elena Abarado Ruiz, figure locale éprise de culture et d’écologie, née dans la ravissante Casa del Lago (la Maison du Lac) où elle a aménagé avec goût trois chambres d’hôtes ainsi qu’un salon de thé bio et réputé. L’île n’a aucun secret pour elle.

« Contrairement à ce qu’on croit parfois, on peut voyager librement aux Galapagos. Il y a plein de possibilités de logement pour tous les budgets et l’hébergement chez l’habitant s’est pas mal développé ces dernières années, souvent dans des adresses de charme. » C’est le cas chez Elena. Nombreux sont les routards qui viennent y boire un verre et déguster l’une de ces pâtisseries dont elle a le secret, pour se ressourcer entre deux excursions.

« La plus grande partie des îles étant intégrée au parc national, il faut être accompagné d’un guide officiel pour y accéder », explique-t-elle avant d’énumérer ses destinations fétiches : Santa Fe, Seymour, Fernandina, San Salvador… Et les meilleurs bateaux pour y aller.

La plupart des îles sont intégrées au Parc National (c)PhilBerki

J’ai séjourné à Puerto-Ayora puis à Puerto Villamil, sur Isabela. La première a gardé l’âme d’un petit port de pêche animé, malgré les boutiques trendy qui se bousculent dans ses venelles et les bateaux-taxis qui envahissent sa baie. La seconde exhale un vrai parfum de bout du monde, avec ses ruelles sablonneuses et son atmosphère alanguie, jusqu’à ce que s’agitent les quelques terrasses de bars et de restos en fin d’après-midi. De là, on rayonne. En bateau vers les autres îles, en taxi et à vélo sur la terre ferme. Puis à pied le reste du temps. On réserve les excursions à la journée, guide inclus, dans les petites agences qui pullulent en ville. Y compris pour la plongée.

Les cactées sont plus à l'aise que les arbres sur ces cailloux pelés par les vents.

Il ne faut pas s’attendre à traverser des paysages envahis d’une nature luxuriante. Elle est souvent absente et, au mieux, broussailleuse. Les arbres se font rares sur ces cailloux pelés par le sel et le vent. Les cactées y sont plus à l’aise et pullulent sous les formes les plus alambiquées. Tout comme la roche volcanique somptueusement sculptée par l’érosion. Tout cela donne aux Galapagos l’allure incomparable d’une sorte de météorite échouée en plein Pacifique et peuplée des plus étonnants spécimens du règne animal. Je confesse un faible pour ces cohortes de crabes rouges endémiques, à peine plus farouches que les reptiles et volatiles auxquels ils disputent les anfractuosités rocheuses.

Des centaines de crabes multicolores slaloment entre les iguanes avachis. (c)PhilBerki

Au sud de Santa Cruz, une bande de sable blanc de 2,5 km de long, constellée de blocs basaltiques d’un noir d’encre, mérite de figurer au palmarès des plus belles plages du monde. On y accède au terme d’une randonnée épique à travers la mangrove, sur un chemin balisé. Tortuga Bay - la Baie des Tortues, c’est son nom, offre aux chéloniens un sanctuaire en période de ponte. J’y ai croisé des centaines de crustacés multicolores en slalomant entre les iguanes avachis, sous le vol placide des grands pélicans gris en quête de proies faciles. Peu dérangés par quelques surfeurs intrépides bravant au large de furieux rouleaux, pas plus que par les rares promeneurs qui ponctuent l’immense rivage. Aux Galapagos, ce genre d’image n’est pas un cliché. C’est une carte postale.

Tortuga Bay (c)PhilBerki

Y aller

L’agence Continents Insolites organise des voyages individuels et en groupes en bateau de croisière ou en séjour sur terre. Rue César Franck 44a, 1050 Bruxelles. Tél. 02 218.24.84 – www.continentsinsolites.com

Se loger

A Puerto Ayora (Santa Cruz) : la Casa del Lago propose trois charmants appartements avec cuisine équipée, dans un décor qui fait la part belle à l’artisanat local et aux matériaux recyclés. www.casadellagogalapagos.com - +593 (0)5 252 4116  

A Puerto Villamil (Isabela) : la Casa de Marita offre une vingtaine de chambres et suites très confortables dont la plupart s’ouvrent directement sur la plage. Charme assuré. www.galapagosisabela.com - +593 (0)5 252 9301